Interview exclusive – Le Professeur Bertrand Dautzenberg s’explique sur la position de son association !

C’est la révélation de ces derniers jours. Une association, l’ENSP, a publié le « Appliquer la TPD pour les nuls », une série de recommandations sur la limitation de la cigarette électronique. Elle encourage les états membres de l’union européenne à, par exemple, taxer le liquide au millilitre, calquer les interdictions de vaper sur les endroit où fumer est interdit, ou encore, interdire les arômes pour ne pas plaire aux jeunes. Vous trouverez les détails ici : ENSP ecigarette

Là où le bât blesse, c’est qu’un des dirigeants de l’ENSP n’est autre que le Professeur Bertrand Dautzenberg (sa bio sur Wikipedia, ici), un des médecins les plus médiatiques et soutenant jusqu’alors la cigarette électronique comme moyen de sevrage tabagique… Aujourd’hui, on ne sait plus tellement ou le placer, sur l’échelle entre le « pour » et le « contre ».

 

Nous l’avons contacté vendredi par mail, et il a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet, et sur d’autre.

 

 

Professeur Dautzenberg, Bonsoir, pourriez-vous vous présenter rapidement :
Oui alors, Professeur Bertrand Dautzenberg, je suis pneumologue, je travaille à la clinique Pitié-salpétrière à Paris et je préside l’office français de prévention du tabagisme.

Vous avez sorti plusieurs livres, notamment « l’e-cigarette, pour en finir avec le tabac », pensez-vous toujours que c’est un bon moyen d’arrêter de fumer ?
Pour ceux qui aiment, la e-cig peut être un moyen de sortir du tabac, ce n’est pas une méthode médicale validée d’arrêt de tabac mais c’est un moyen autre pour sortir du tabac et c’est plutôt une bonne nouvelle et une bonne chose.

Lui trouvez-vous plus d’avantages que les méthodes plus classiques ? Patch, gum, ?
L’avantage de la e-cig, c’est que pour les gens qui ne veulent pas entendre parler de sevrage tabagique,  d’arrêt du tabac ou de méthode médicale, c’est d’avoir ainsi la possibilité de sortir du tabac par le plaisir, d’une façon  différente des autres. Pour moi ce n’est pas à mettre en concurrence, c’est une autre façon de sortir du tabac car on voit que plus il y’a de e-cig moins il y’a d’utilisation de médicaments reconnus et je trouve que cela est dommage.

Moi mon combat c’est un peu de dire que les médecins doivent intégrer la e-cig dans leurs réflexions comme ils intègrent le tabac à rouler, le cigare, les patchs et les gommes. Il faut considérer la e-cig comme une autre façon de fumer, une autre façon de consommer de la nicotine.

Les médecins tabacologues, s’y intéressent de plus en plus, ils sont bien au fait du problème et sont devenus compétents contrairement aux médecins généralistes qui disent encore un peu n’importe quoi.

Pour vous, le tabagisme passif a toujours été un problème, notamment d’exposition à tout un tas de particules cancérigènes, qu’en est-il pour la cigarette électronique ?
Le danger est infiniment plus faible qu’avec le vrai tabac, on ne peut pas jurer que le danger est nul, si on regarde le produit du métabolisme de la nicotine dans les urines de quelqu’un qui est à côté d’un vapoteur, qui vapote dans une salle close, on va retrouver des traces du produit. Donc les produits passent un peu chez les non fumeurs, non vapoteurs mais en quantité qui sont très faibles. 

Vous vous êtes prononcé contre le fait de vaper dans les lieux publics, pourquoi ?
Moi ce qui m’inquiète plutôt c’est la re-normalisation du tabac, c’est à dire de retrouver  dans les restaurants, des gens qui ont un truc dans la bouche et qui font des nuages. Car là, ça remet en place le tabac dans la société alors qu’on avait gagné la sortie du tabac des restaurants par exemple.  Je suis un peu déçu des décisions de Mme la ministre, car actuellement, on est dans l’exemple et pas dans la santé, étant pourtant le motif principal.

Cette mesure, si elle est appliquée, nous renverrait dans les espaces fumeurs, nous subirions donc, outre la tentation de s’en « griller une », le tabagisme passif ?
Les fumeurs ont tout à fait appris à contrôler leurs consommations en fonction des lieux interdits, je pense que les vapoteurs peuvent en faire de même. Et par mon expérience quand des vapoteurs sortent avec des fumeurs pour une pause, c’est plutôt le vapoteur qui dit au fumeur « comment vapoter » et le fumeur qui arrête la cigarette. On utilise donc les vapoteurs malgré eux, pour convertir les fumeurs car la pause cigarette est un bon moment pour discuter, et la crédibilité d’anciens fumeurs qui sont passés au vapotage sont bien souvent supérieure à la mienne, ou en tout cas différente, et c’est une bonne chose. En tout cas il y’a des avantages, il y’a des inconvénients, moi c’est mon point de vue de médecin. Après la ministre fait ce qu’elle veut.
Je pense que dans 20 ans le tabac aura disparu et le vapotage sera aussi quelque chose d’anecdotique, il n’y aura plus de fumeur en France.

Pensez vous que la cigarette électronique peut permettre ce sevrage total en nicotine ?
Non je ne crois pas, j’en ai la conviction absolue et je l’observe tous les jours. Ça ne marche cependant pas à tous les coups. Le vapoteur qui trouve le bon liquide qui lui plait va passer au vapotage sans fumer, ce qui est très important, car lorsqu’on fume et qu’on vapote on est pas du tout sorti d’affaire. Et on a beaucoup de chance de retourner au tabagisme . Dans ceux qui ont le bon liquide avec le bon effet en gorge, y’en a beaucoup qui arrête définitivement le tabac, et dans ceux la, il y en a qui arrêtent aussi de vapoter au bout d’un certain temps.

Il y a quelques mois, vous aviez peur que la cigarette électronique soit une porte d’entrée dans le tabac, c’est toujours le cas ?
Alors si je vois les données que j’ai à Paris, ce n’est plus du tout le cas car on a des arguments assez forts pour montrer que la e-cig a dénormalisé le tabac chez les enfants. La somme des vapoteurs et des fumeurs chez les 12-15 ans est bien inférieure à ce qu’elle était en 2012 lorsqu’il y avait uniquement des fumeurs. Les données des Etats-Unis montrent la même chose malgré les cris des savants américains. Ils disent que c’est une catastrophe car les jeunes vapotent de plus en plus, mais plus ils vapotent moins ils fument. En revanche il vient de paraitre une étude polonaise un peu bizarre qui montre strictement le contraire. Il est donc possible que selon le contexte du produit dans le pays cela puisse aider à normaliser ou dénormaliser le tabac. Il faut d’autres études car le comportement des enfants et des adolescents est sujet à plein de facteurs différents et à « un effet de mode ».

Pourquoi Marisol Touraine, armée de l’avis de la haute autorité, prétend le contraire ?
Non non non… Le haut comité de santé publique a fait une analyse de la littérature publiée il y’a 2 ans et a regardé les cris des américains sans regarder les effets bénéfiques.  Après, Marisol Touraine a été beaucoup plus modérée, elle a dit que la cigarette électronique était un bon produit, qu’il fallait la donner a tous les fumeurs etc… Même si le risque est infime, le rôle du ministère de la santé est de dire qu’il ne faut pas que ce soit un produit pour les enfants et vous m’entendrez toujours dire la même chose même. Et si par ailleurs c’est pas la catastrophe que l’on craignait, l’interdiction de vente aux mineurs est une bonne chose.

Il y a quelques jours, une association dont vous êtes vice-président, l’ENSP a publié un rapport à charge sur la cigarette électronique, et c’est avec stupeur que la communauté des vapoteurs a découvert leurs recommandations. Quel est votre avis sur ce point, et avez-vous participé à la rédaction de ce rapport ?
Alors la première version du rapport, c’est moi qui l’avais écrite et ce n’est pas du tout ce qu’il y’a dans le rapport final. La première chose, c’est que moi je pensais qu’il fallait persuader les gouvernements de bien faire les choses. Mais le problème c’est qu’on est au niveau Europeen et les spécialistes qui ne voient pas de patient, sont des gens qui sont dans des bureaux  qui ont peur de tous les racontars. Il ne sont pas très à l’aise quand il n’y a pas de données scientifiques. Je me suis battu pour que ce texte soit bien, on a passé une journée de travail ligne par ligne et j’ai pas fait attention quand on m’a donné le texte à relire à la fin.

J‘ai lu ce dont on avait discuté, mais j’ai pas relu l’introduction où ils avaient marqué, entre autres, qu’il fallait interdire les arômes. Alors que ma conviction, tout à fait profonde, c’est que de faire une e-cig sans arôme, c’est comme avoir une cigarette sans papier, ou une voiture sans volant, ça ne marche pas ! Donc interdire les arômes cela veut dire qu’on va interdire la e-cig et c’est une connerie. J’ai l’accord de principe, j’aurais la confirmation demain, pour que ce soit strictement régulé afin que les enfants ne commencent pas à vapoter. Après moi, je suis solidaire de mes copains, des gens de la même association. Il y a quand même eu beaucoup de progrés sur ce texte par rapport à ce que cela aurait pu être. Et puis là, il va s’améliorer mais la partie « arômes » est un changement de texte après délibération, mais je n’ai pas relu le document final en entier, c’est de ma faute. Des fois quand on est débordé on dit « oui » surtout quand la partie dont on a discuté est inchangée…

Mais ils vont rechanger, dans les 3 jours, normalement il y aura une version corrigée.

Certains vous reprochent des accointances avec l’industrie du tabac et des laboratoires pharmaceutiques, vous sentez vous piégé par ces deux poids lourds du lobbying mondial ? Pouvez-vous toujours avoir toute latitude de défendre vos propres opinions, sans mettre en péril vos recherches ou vos soutiens financiers.
Et les vapoteurs et tout ce que l’on veut… Je suis tout à fait libre de ce que je dis. Sauf que vous voyez moi je me suis fait piégé par mes amis, enfin les gens avec qui je travaille. Sur d’autres sujets on est 100% d’accord. Pour l’instant je me fais plus engueuler par mes amis d’aller à l’AFNOR avec l’industrie du tabac dans la salle, mais je me sens tout à fait indépendant. Ce qui ne m’interdit pas de faire des conneries comme d’avoir laissé passer ce document. J’ai juste renvoyé le mail en disant « ok » en ayant juste relu la 2ème partie sans avoir repris la 1ère. Mais pour les arômes je pense qu’ils l’ont fait plus par bêtise que par méchanceté, ils ont pensé que sans arômes pas d’enfants qui vapotent en oubliant que sans arômes la e-cig n’existe pas !

Merci d’avoir pris le temps de nous répondre, c’est une de vos premières déclarations suite à la publication des recommandations de l’ENSP, merci beaucoup.